Grandes Saintes

Grandes Saintes
Les-Saintes-Maries-de-la-Mer
coeur de la tradition chrétienne et provençale



La croix de Camargue
la croix + l'ancre+ le coeur: les 3 vertus théologuales


Sur toute la planète, chaque diocèse, en plus de sa cathédrale, propose aux fidèles des sanctuaires et des églises pour accomplir leur pèlerinage jubilaire.

Au cours de l’année 2000, nous visiterons quelques-uns de ces hauts lieux de la foi. Dans les Bouches-du-Rhône, la cathédrale du diocèse d’Aix-en-Provence est Saint-Sauveur. Monseigneur Claude Feidt a choisi comme églises jubilaires Notre-Dame-de-la-Major à Arles et l’église des Saintes-Maries-de-la-Mer, en Camargue.

Terre de tradition

La Camargue, ce triangle de 82 000 hectares entre les deux bras du Rhône, a su garder jalousement ses particularismes traditionnels. Paradoxalement, c’est l’inhospitalité de cette terre, essentiellement marécageuse et saumâtre, qui a déterminé son originalité. Le taureau et le cheval sauvage, au fil des siècles, y avaient trouvé un refuge, alors que l’agriculture et l’exploitation forestière s'étendaient toujours plus ailleurs. La première roubine (canal) pour assécher les marais a été creusée au xiie siècle par les moines de Montmajour et ce n’est qu’au xviiie siècle que les premières digues ont été construites. Le sel et le riz – après la vigne – ont accroché au sol camarguais une petite population. La déferlante touristique, qui a débuté dans les années soixante, n’a pas submergé la tradition provençale dont la Camargue est l’un des « réservoirs ».

Son taureau noir et son cheval blanc sont restés sauvages. Les juments mettent bas librement, en plein air. Les poulains subissent ainsi un climat sévère qui détermine leur petite taille et leur résistance remarquable. Le cheval est dressé à l’âge de trois ans, la jument réservée à la reproduction n’est pas montée.

La complicité du petit cheval Camargue et de son gardian est surprenante. Le cavalier mène de la main gauche et tient son trident de la main droite. Le tri des taureaux se fait au plein galop, c’est un spectacle étonnant fait d’agilité et de force. Cette activité pastorale, qui doit remonter à l’Antiquité, existe encore pour fournir en taureaux les ferias dans les nombreuses arènes de basse Provence et du Languedoc où se pressent les foules d’aficionados.

La vie du gardian réclame des qualités d’énergie, de ténacité, de droiture, de liberté qui engendrent tout naturellement un attachement inné aux traditions. C’est grâce à la nacioun gardiano (nation gardiane, mouvement de sauvegarde des traditions fondé en 1909 par Baroncelli) que les pèlerinages des Saintes-Maries-de-la-Mer ont perduré, en particulier pendant la terrible dépression de la foi des décennies 60 à 80. A toutes les processions les gardians étaient là, sur leurs chevaux, trident en main, fiers et souriants, encadrant « leurs » Grandes Saintes. A Noël dernier, je les ai vus descendre de leurs montures et se rendre à la messe de minuit, toujours le trident à la main, et communier.

La nacioun gardiano ce sont aussi les Arlésiennes, présentes dans toutes les manifestations, vêtues de leurs costumes provençaux qui ont été portés jusqu’à la Seconde Guerre mondiale.

Le mystère des Saintes

Ces dernières années, les pèlerins sont revenus en grand nombre (plus de 40 000 en mai dernier – chiffre de la gendarmerie) dont les gitans, qui avaient oublié que Sainte Sara les attend sur leur terre sacrée les 24 et 25 mai, depuis près de deux mille ans. Les Saintes sans les gitans ne seraient plus les Saintes!

Les Saintes Maries (les Grandes Saintes disent les Provençaux) ont toujours eu leurs veilleurs. Au xie siècle un ermite aurait convaincu un prince, venu d’Arles pour chasser, de construire une église. Ce fut certainement Guillaume II, il se lança dans de folles dépenses pour la construction d’une grande église-forteresse englobant le premier oratoire. Au début du siècle, c’étaient les folco de Baroncelli, qui furent des poètes et des manadiers… Aujourd’hui c’est Laurent Ayme, quatre-vingt-trois ans, authentique félibre1, qui se dépense sans compter pour animer les pèlerinages, écrire et mettre en scène des Pastorales et redonner vie à la Confrérie (voir encadré).

Ces veilleurs sont bien l’étonnant mystère des Grandes Saintes, ils sont la braise sous les cendres froides. Ils étaient là au début du xviiie siècle après la terrible Révolution, ils étaient là dans les années vingt alors que pas un seul soldat saintois n’était revenu de la guerre 14-18…
Toute la tradition provençale est imprégnée de la foi catholique. C’est de la Provence qu’est partie l’évangélisation de la France.

Qui sont les Saintes?

L’origine de ce pèlerinage pourrait être écrit comme un post-Evangile, mais il serait apocryphe, car il n’y a aucune source historique écrite sur ses origines. Cependant il ne faut pas être trop radical, car l’essentiel de l’histoire antérieure au xiie siècle est archéologique, et de nos jours les historiens vont jusqu’à affirmer « qu’un faisceau de témoignages convergents dépasse en valeur historique un écrit souvent sujet à caution2 ».

En l’an 44, à la mort d’Hérode Agrippa, la Judée est passée sous l’autorité directe des Romains. Les disciples de Jésus se multipliaient, mais les prêtres du Sanhédrin, craignant les Romains qui veillaient à l’ordre public, n’osèrent pas les éliminer brutalement et ont préféré les expulser. C’est ainsi que des témoins de la vie de Jésus sont venus évangéliser la Gaule : Lazare le ressuscité, Marthe et Marie-Madeleine ses sœurs, Maximin, Sidoine l’aveugle de naissance guéri par Jésus, Marie Jacobé, Marie Salomé… « Allez par tout le monde et prêchez la bonne nouvelle à toute la création » (Marc 14, 16).

Ces derniers auraient été mis dans une barque, sans provisions… et jetés à la mer. Une pieuse légende affirme que Sara, leur servante, qui avait été laissée sur la plage, a voulu les rejoindre. Salomé lui a jeté son châle qui lui servit de radeau (une autre légende affirme qu’elle les aurait accueillis à leur accostage en Gaule).

La barque s’est échouée sur l’île de Camargue. Elles y ont construit un petit autel de terre pétrie mentionné dans des manuscrits de Gervais de Tibury en 1212, et de Monseigneur Durand, évêque de Mende à la fin du xiiie siècle. L’autel sera retrouvé lors des fouilles de 1448.

– Marie Jacobé est appelée dans les Evangiles Marie de Cléophas (Ja 19, 25), ou Marie mère de Jacques et de Joseph (Marc 15, 40), ou Marie mère de Jacques (Luc 24, 10). Sa parenté avec la Vierge ne peut pas être établie, Jean (19, 25) la donne comme sœur, mais les Hébreux n’avaient dans leur vocabulaire que frère et sœur pour désigner la parenté proche qui englobait tous les cousins. Elle se maria à Cléophas (appelé aussi Alphée) frère de Saint Joseph, et ils eurent 4 fils : Jacques, Jude (ou Thaddée), Joseph (ou José), Siméon (ou Simon) et plusieurs filles. Avec son frère Thaddée, Jacques dit le Mineur a été appelé à l’apostolat, il avait profité d’une apparition particulière du Christ (1 Co 15, 7) après sa résurrection. Saint Jérôme lui a recommandé l’église de Jérusalem, les apôtres en ont fait l’évêque, il est mort martyr.

– Marie Salomé est l’épouse de Zébédée, ses fils sont Jacques dit le Majeur et Jean, l’un des auteurs des Evangiles. Elle sera avec la Sainte Vierge et Marie-Madeleine au pied du Calvaire.
De pieuses histoires nous disent qu’elles avaient comme compagnons de voyage Lazare, qui est allé évangéliser Marseille ; Maximin, qui s’est rendu à Aix ; Marie-Madeleine, qui a suivi son frère à Marseille, puis à rejoint Aix et la grotte de la Sainte-Baume (voir Chrétiens Magazine de janvier 1987) ; Marthe, qui a sauvé les habitants des bords du Rhône en éliminant la Tarasque à Tarascon ; Sidoine, qui sera évêque d’Aix.

Les deux Maries, déjà âgées, avec l’aide de Sara, se sont installées dans l’île de Camargue, près d’une source d’eau douce qu’elles auraient découverte.

Le culte des Saintes

A n’en pas douter, elles ont évangélisé les habitants qu’elles avaient trouvés en accostant en Camargue. Elles y ont été enterrées à leur mort. Rapidement leur tombe a été vénérée, la pieuse légende parle de nombreux miracles. C’était certainement un lieu déjà visité pour un temple païen dédié à Mithra ou à Diane d’Ephèse (quelques restes ont été conservés dont un autel de marbre que l’on peut voir dans la crypte de l’église actuelle). La Bonne Nouvelle s’est d’autant plus facilement répandue dans toute la contrée. Dès cette époque, les tribus nomades des bohémiens, tziganes, caraques sont venues vénérer les reliques des saintes et de Sara qu’ils disent être l’une des leurs et dont ils ont fait leur patronne.

La première église a été construite au ive siècle sous le vocable de Sainte-Maria-de-Ratis (Sainte-Marie-de-la-Barque) englobant l’oratoire primitif qui était certainement leur maison.
Au ive siècle Saint Césaire, évêque d’Arles, y a installé une communauté de religieuses, émanation du monastère qu’il avait fondé à Arles en 512 avec sa sœur Sainte Césarie.
Du viiie au xe siècle ce furent les invasions des Sarrasins. La meilleure protection était la forteresse. D’où la construction de l’église-forteresse si caractéristique qui protégeait aussi les précieuses reliques. Elle a été plusieurs fois reconstruite, mais l’appareil général qui a été conservé est propre aux ouvrages militaires du viiie siècle.

Au xiie siècle le premier vocable de l’église était tombé en désuétude au profit de Sancta-Maria-de-Mari (Sainte-Marie-de-la-mer) qui a été conservé en le pluralisant.

Tout au long du Moyen Age une multitude de princes de sang et de princes de l’Eglise ont pèleriné avec les foules aux Saintes-Maries-de-la-Mer. De nombreuses prières ont été exaucées.
En 1332, l’évêque de Saint-Pol-de-Léon, Pierre de Nantes, paralysé depuis plusieurs années, implore la protection des Saintes et fait le vœu de visiter leur église si elles obtiennent sa guérison. Il guérit, s’exécuta, composa à leur gloire un hymne en vers latins et leur consacra trois autels.

L’invention des reliques

Les reliques demeuraient enfouies dans l’église, sans aucune indication de l’endroit précis. Pour leur donner une place d’honneur, au xve siècle, le pieux prince René d’Anjou (comte de Provence, roi de Sicile et de Jérusalem) projette de les faire rechercher. Le Pape Nicolas V lui en donne l’autorisation par une bulle datée du 3 août 1448.

Toute l’affaire a été menée selon les règles canoniques, d’une façon exemplaire. Entre autres, ont été rassemblées toutes les pièces historiques de la légende, nom liturgique de la vie d’un Saint – lue à l’office de sa fête – toujours rédigée avec prudence et rigueur.

Les fouilles minutieuses et importantes ont mis à jour le canal de la source d’eau douce, puis une tête d’homme enveloppée dans une bandelette de plomb (c’est le chef de Saint Jacques le Majeur), une cavité renfermant des écuelles en terre, du charbon de bois et des cendres (c’est l’humble demeure des deux Saintes). Au fond du chœur de l’église a été trouvé un monticule de terre pétrie dans lequel a été découvert une petite colonne de pierre blanche surmontée d’une petite pierre de marbre, le tout formant un autel. En poussant les fouilles sur la gauche, les ouvriers dégagèrent un corps humain parfaitement conservé qui exhala une odeur suave très agréable, la tête reposant sur une pierre de marbre sur laquelle était gravé Hic jacet sancta Maria Jacobi (Ici repose sainte Marie Jacobé3). Les fouilles sur le côté droit découvrirent un autre corps dans la même position qui dégageait la même bonne odeur, sur une pierre de marbre était gravé Hic jacet sancta Maria Salomi (Ici repose sainte Marie Salomé).

D’autres fouilles du côté gauche de l’oratoire ont fait apparaître 3 têtes d’enfants, disposées en triangle, ce sont les chefs de trois des saints Innocents.

Dans les attributs des représentations des Saintes Maries on voit qu’elles portent chacune une urne dans lesquelles elles avaient placé en partant de Palestine les chefs de Saint Jacques le Majeur et des saints Innocents.

Il est remarquable que ces restes se soient conservés pendant plus de mille quatre cents ans dans une terre marécageuse et saumâtre.

A noter aussi que dès le temps des témoins directs du Christ, les reliques (restes corporels des martyrs) avaient leur importance. Les reliques ne sont pas qu’un souvenir attachant d’un être vénéré, leur présence dans les églises est nécessaire, entre autres dans la pierre d’autel.
aucune autre dépouille n’a été retrouvée prouvant le respect qu’a porté l’Eglise aux Saintes.

Le légat du Pape, après avoir soigneusement lavé les reliques, les plaça dans deux châsses de bois. De nombreuses cérémonies se déroulèrent ce jour-là devant une foule immense et enthousiaste accourue de toute la Provence. Les reliques ont été exposées à la vénération de tous sous un baldaquin, entourées de la cour royale de Provence et des autorités de l’Eglise. Dans un reliquaire de bronze on été déposées les têtes de saint Jacques et des saints Innocents, ainsi que les ossements de Sainte Sara (rappelons qu’elle n’a jamais été canonisée, mais qu’elle est considérée comme Sainte par le pouvoir de la vox populi).

Après la fermeture des châsses contenant les reliques des saintes, on les éleva solennellement dans la chapelle construite au-dessus du chœur où elles sont toujours. Depuis cette époque de nombreux miracles ont été consignés, ils n’ont pas profité au cours des siècles d’enquêtes canoniques, mais on ne peut pas les ignorer, tellement ils sont nombreux, sauf ces dernières années. Une vieille amie religieuse, rencontrée au dernier pèlerinage d’octobre, auprès de qui je m’en inquiétais, m’a répondu avec bon sens : « On ne dit plus aux fidèles que Dieu fait des miracles, alors ils oublient de lui remettre leurs souffrances, ils se privent des plus grandes grâces que Dieu est prêt à donner, encore faut-il le lui demander en faisant intervenir l’intercession des saints. Un petit enfant sait très tôt que c’est en insistant très lourdement auprès de ses parents qu’il obtiendra un bonbon. Nos grandes saintes sont prêtes à faire beaucoup pour nous, mais il faut le leur demander. Je viens chaque année avec toutes les intentions que l’on me confie. Cette année, en plus, je suis venue remercier. » Qu’on se le dise.

La Révolution

1793 : les conséquences des décisions iniques de la Convention s’abattent sur la France déjà agonisante. La guillotine multiplie ses victimes. Les prêtres qui refusent de prêter serment sont emprisonnés quand ils n’ont pas choisi l’exil. Une tempête destructrice va s’abattre sur les églises et les sanctuaires. Dieu est chassé pour être remplacé par une idole stupide à l’adoration de laquelle on poussera la population. Venus d’Arles, des hommes en armes, après avoir menacé la population, s’introduisent dans l’église des Saintes et s’emparent des meubles et objets de valeur, dont deux reliquaires d’argent en forme de bras. Mais ils ignorent les châsses.

Dans la nuit du 22 octobre, l’Abbé Abril et un de ses paroissiens, M. Molinier, retirent des châsses une partie des ossements des saintes et les cachent dans un hangar près du cimetière.

Le 5 mai 1794, les infâmes réapparaissent et saccagent l’église. Rien ne leur résiste. Ils descendent les châsses, décrochent les ex-voto, sortent le reliquaire de Sainte Sara et brûlent l’ensemble en dansant une sarabande satanique. Les profanateurs – tous venus d’Arles et connus des Saintois – seraient morts tragiquement dans les deux ans, m’avait raconté dans mon enfance la vieille demoiselle qui détenait la clé de la porte qui conduit au toit de l’église (toujours visitable aujourd’hui).

Début 1797 : le Directoire vote plusieurs lois qui rétablissent la paix nationale, dont l’abolition des lois contre l’Eglise. La France exsangue aspire à la paix et beaucoup désirent ardemment le retour de la religion.

Deux pieuses Saintoises remettent au nouveau curé des ossements de Sainte Sara, sauvés des flammes de 1 794. Un administrateur du district d’Arles rend l’un des deux bras reliquaires découvert dans un bureau de son administration. Ce serait celui contenant une relique de Sainte Marthe. M. Molinier, après avoir hésité longtemps, par peur des représailles, indique la cache des reliques des Saintes. L’histoire pieuse rapporte qu’il avait été sauvé d’un naufrage en implorant les Grandes Saintes et qu’il avait fait le vœu de se consacrer au renouveau des pèlerinages.

Les reliques ont été retrouvées serrées dans des bandes munies de sceaux d’authentification de 1709 et 1710. Le 25 mai 1797, elles étaient solennellement installées dans la chapelle haute, au chant du Te Deum, au milieu de joyeuses ovations.

L’année suivante, le 23 mai, à la descente des châsses, Antoine Gousty, parvenu à la dernière extrémité, est soudainement guéri. La foule le porte en triomphe devant le Saint-Sacrement exposé en chantant à tue-tête l’hymne d’action de grâces. La longue liste des guérisons reprenait. Sur l’un des murs de l’église sont exposées des peintures naïves d’ex-voto des xviiie et xixe siècle.

Les pèlerinages

Les deux pèlerinages annuels principaux :

– Les 24 et 25 mai (fête de Sainte Marie Salomé). C’est aussi le pèlerinage des Fils du vent, les gitans qui viennent de toute la France, d’Italie, d’Espagne, d’Irlande, mais aussi d’Afrique du Sud et d’Inde. S’ils viennent pour les Saintes Maries, ils vénèrent surtout leur patronne Sainte Sara.

– Le samedi et le dimanche qui suivent le 15 octobre (fête de Sainte Marie Jacobé).

– Et le pèlerinage du samedi et du dimanche après le 3 décembre, réservé aux Saintes (mais ouvert à tous). Pas de procession, mais descente des châsses.

Des récits du xixe siècle décrivent avec enthousiasme les foules de pèlerins venus à pied, en charrette ou en bateau dont Mistral arrivé de Maillane en voiture à cheval. Les foules ont grossi à partir d’octobre 1892 grâce au petit train venant d’Arles, inauguré en août.

Il faut avoir fait au moins une fois dans sa vie le pèlerinage des Saintes, imprégné de cette ambiance chaleureuse toute méridionale. Celui de mai est d’autant plus animé par la présence des gitans, à l’expression de foi débordante mais si sincère ! Comment ne pas être touché en les voyant s’abîmer dans la prière, le visage couvert de larmes, aux pieds de Sainte Sara ? Une remarque propre à notre temps : on y voit de plus en plus d’hommes en prière, alors que je ne me souviens pas en avoir vu, il y a seulement quelques années. Cela n’est pas propre aux gitans, on voit de plus en plus d’hommes dans nos églises aux messes de semaine, dont des moins de trente ans.

Ne manquez pas la cérémonie des châsses le samedi après-midi. Depuis plusieurs siècles, elles descendent par un treuil de la chapelle haute, au-dessus de l’autel. Tout au long des cordages seront accrochés des bouquets et des ex-voto remis par les pèlerins. L’assemblée entonne un vieux chant provençal, rythmé à l’instar des vagues de la mer. Dès que la descente est amorcée, tout à coup, tous les fidèles, un cierge allumé en main, lèvent les bras, entrent liesse en s’écriant : « Vive les Saintes, vive les Saintes… » Beaucoup pleurent de joie. Certaines années un prêtre prononce l’homélie en lango nostro. Les fidèles peuvent venir se recueillir près des châsses. Certains les touchent et les embrassent.

Le lendemain, après la grand-messe, c’est le pèlerinage sur la plage. La procession est ouverte par les gardians à cheval, trident en main, vêtus de leur veste noire et d’une chemise colorée faite de toile indienne (spécialité provençale depuis le xviie siècle, relancée ces trente dernières années avec des dessins et coloris de bon goût). En tête du cortège le clergé, dont l’un des prêtres porte le bras reliquaire, suivi des Arlésiennes costumées, des tambourinaires (musiciens frappant de la main gauche sur le tambourin et jouant de la flûte de la main droite). Entourant et portant la nef avec les Saintes, les membres de la Confrérie. En mai, les gitans suivent en portant la statue de Sainte Sara, autour de laquelle se bousculent les fils du vent pour la toucher, l’embrasser, déposer un bouquet à ses pieds.

Lorsque le cortège arrive sur la plage, les gardians rentrent dans la mer jusqu’au poitrail de leurs montures et forment un demi-cercle. A leur tour les porteurs des Saintes et de sainte Sara marchent dans l’eau suivis de quelques fidèles. L’évêque monte dans une barque échouée sur la plage et bénit, avec le bras reliquaire les statues, les pèlerins et la mer. Les cloches de l’église sonnent à toute volée. Les statues sont ramenées à l’église, accueillies à leur entrée par le Magnificat. Elles sont alors remontées dans la chapelle haute. La cérémonie se termine par l’hymne régional : Provencaou et catouli (Provençal et catholique) que chacun chante à tue-tête, fier de sa race, ainsi que le disait Mistral.

Christian Ravaz

1 - Félibrige : organisme académique fondé en 1854 par Frédéric Mistral pour la création d’un « provençal littéraire », toujours actif. Les membres s’appellent les félibres.
2 - Les Saintes Maries de Provence - Chanoine J.-M. Lamoureux - Reprint d’un livre de 1908 (seul ouvrage disponible sur l’histoire des Saintes) - Editions Bélisane - 16x24 - 294 pages - 160 F.
3 - L’une des pierres de marbre blanc a été maçonnée dans une colonne de l’église, à droite de la nef à bord de laquelle ont été placées les statues des deux Maries. Cette pierre est fortement usée par l’attouchement des pèlerins qui lui prêtent des vertus curatives.

SOURCE: Christian Ravaz, "Grandes Saintes: Les-Saintes-Maries-de-la-Mer, coeur de la tradition chrétienne et provençale," Chrétiens Magazine 127 (Janvier 2000). Retrieved 28 May 2009.

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